Texte publié initialement ici par Sabrina Calvo.
Recopié ici avec l’autorisation de son autrice.
A la Volte, on m’a demandé d’écrire ce texte l’année dernière, pour les 15 ans de la maison. Oui je slacke mais techniquement la volte a encore 15 ans et pis je connais un môme génial qui vient d’avoir 10 ans et il fallait qu’on fasse des crêpes alors hein, priorités.
J’ai finalement rêvé ce truc cette nuit, en regardant deux colibris baiser sur mon pouce. J’écris ces lignes au saut du lit parce que quelqu’un dans une cantine de quartier à plat unique – je crois que c’était Leos Carax – m’a demandé de le faire, et de le faire de tout mon cœur – il s’est vexé parce que de lui, j’ai pas vraiment vu grand-chose mais j’aime bien sa coupe de cheveux. Il lui paraissait vital de dire que la magie existe, qu’elle est tout autour de nous, qu’on peut lui donner forme et qu’il ne saurait y avoir de toaster sans Chi. Du pain industriel brûlé, un présent à notre portée.
J’en ai ma claque d’avoir toujours à défendre la, hum, poésie de ma science-fiction. En règle générale, dans ces moments là, je grommelle et je dis que je sais pas “vraiment” écrire de la SF. J’écris une impression de SF. L’effet du merveilleux total, sur moi et mes personnages. Une empreinte en creux. un fossile de ce que ça voudrait dire, de se retrouver face à un monde qu’on dit impossible à inventer. La litanie du “tout a déjà été dit, écrit, imaginé”. Comme si désormais, tout devait être du near-future – tout le monde prophète-catastrophiste – le fond de commerce d’un imaginaire en banqueroute – et nous on erre dans les ruines radioactives de nos contraintes et de nos pathétiques séries streamées, sans chien. Le post-post cyberpunk a mourru mais moi j’y crois toujours.
Soyons invraisemblables. Essayer avec toute notre force dérivative de créer des échos, des réverbérations, des larsens partout. Tout ouvrir, les failles, les plaies, les chas d’aiguille et les chats qui font leur toilette. Il y a du moisi à faire germer et personne ne s’y intéresse vraiment alors que c’est dans le compost de nos vies, de nos mythes, de nos espoirs, de nos mauvaises blagues, de nos sexualités joyeuses que se trouve peut-être l’écrin de cette trace. Nos mots en clairvoyance d’astres nouveaux, nos souffles mal fichus en courants sacrés irrigués depuis le cœur sanglant d’une galaxie. La procrastination rend possible l’invisible, par les raccourcis stylistiques et les bâillements ivres de particules fines, les arabesques absurdes qui font du bien, un jeu avec le je-ne-sais-quoi qui contemple un soupir. Ah, Mystère de la présence, de l’intuition, de l’attention sans jugement.
Il y a de la forêt et les étoiles savent pleurer. Faut leur coudre des mouchoirs.
Alors voilà l’antifeste des grosses branleuses.
On y est.
Un dernier truc, quand même. Je me suis souvent demandée pourquoi en “imaginaire” (cette joke), on cherchait à tout prix à séparer le visible de l’invisible en deux jolies poupées qui font oui oui. C’est sérieux de choisir son camps, de dire qu’on est ce qu’on fait et qu’on fait ce que, heu, on est ? Moi je suis pas sérieuse, tous mes profs de fac me l’ont dit, mon banquier aussi, une fois. Vous savez quoi ? On a le droit de pas avoir d’avis, de préférer ne pas. D’être à côté de la plaque totale. De chercher une Fantastique, une science de l’illogique. De faire marcher des réacteurs d’anti-matière avec des croquettes pour chat. Ça marche. C’est OK. Alors on va me dire : trop facile. BEN OUAIS. Et on vous emmerde, nous les approximatives, les putes du virtuel, les baigneuses en bonnet breton et les amoureuses des totems inversés dans la nuit perpétuelle. On a soupé du discours et des démonstrations bien faites, élégantes et bien rangées, mais aussi on aime quand c’est bien rangé, comme à 2048.
Tout dans nos gestes dit la tristesse de devoir séparer le réel, comme si, d’instinct, nous savions notre appartenance à un ensemble dont systématiquement nous dénonçons l’injustice en réclamant notre droit à décapiter Méduse. Fromage OU dessert, hein. Tout a toujours une raison, une cause, un principe. Osons la tension du point aveugle entre deux mouvements contraires du Chariot, pour tout faire dérailler, sans faiblir. L’art du chasse-neige miroir, premier flocon. La tolérance du paradoxe, son traitement pornographique, radiographique, synthétique d’un murmure où l’on croit deviner, peut-être, l’hymne d’une révolution des chaussettes. Tenir la main aux foudres du temps qui passe, aux sourires sans lune, aux robots de pain d’épice ; se faire violence d’aimer inconditionnellement pour accepter tout ce qui échappe à la rigueur d’une mise en mesure. Du cartésianisme, tissons du PQ, pour torcher, soigner, réparer. Noyons leur cirque de merde.
Je n’ai pas honte de m’avouer vaincue.
Une aurore boréale connait son heure.
De la rosée, partout.